C’est sous ce titre que Le Point de Rencontre a publié en juin 1991 et réédité en juin 2001 un florilège des écrits de Frédéric Bastiat. Nous souhaitions combler le fossé d’incompréhensions et de méfiances qui sépare les libéraux de trop nombreux chrétiens, alors que sont indissociables les libertés tant religieuses que civiles, économiques, politiques et intellectuelles. Car Alexis de TOCQUEVILLE l’a justement écrit : “Le despotisme peut régner sans la Foi, la Liberté ne le peut pas”.
Pendant une centaine d’années, Frédéric BASTIAT n’avait guère été, dans la mémoire de ses concitoyens, qu’un brillant polémiste, curieusement optimiste : comment peut-on soutenir que “les intérêts sont harmoniques” ?. C’est aux Etats-Unis qu’il a été redécouvert et apprécié à sa juste valeur par Leonard E. READ et sa Foundation for Economic Education. En fait, BASTIAT occupe une place essentielle dans la lignée des économistes classiques français, de Jean-Baptiste SAY à Daniel VILLEY. Son image dans le public cultivé a été rajeunie quand on s’est aperçu que sa philosophie du droit et son analyse de l’Etat étaient d’une surprenante actualité.
A travers ce florilège, Frédéric BASTIAT apparaît comme un philanthrope réaliste, libéral mais chrétien en profondeur. Il a toujours écrit pour éclairer des situations concrètes, combattre des erreurs typiques, ouvrir des voies logiques vers des solutions humaines.
Notable de province, c’est pour améliorer les méthodes agricoles qu’il étudie les physiocrates ; c’est parce que la Chalosse, pays de vignobles où il vit, se dépeuple faute de débouchés bloqués par les tarifs douaniers, qu’il prend contact avec COBDEN et plaide pour le libre-échange ; c’est pour détourner la Seconde République de devenir “communiste” qu’il entre à l’Assemblée Nationale, réfute PROUDHON et Louis BLANC, etc. L’on peut dire sans hésiter que l’amitié et la coopération de Frédéric BASTIAT et de Richard COBDEN ont marqué un tournant dans l’histoire des idées politiques en Occident. La “Ligue contre les lois céréales” de COBDEN se trouva élargie aux dimensions d’une philosophie englobant et dépassant le Libre Echange – et c’est cela qui éveilla la sympathie et la réflexion des élites intellectuelles françaises.
L’étudiant de notre temps – s’il a lu BERGSON – sera frappé de trouver dans nos citations une vision très nette de “l’évolution créatrice” sous le nom de perfectibilité, fondée sur le jeu de deux “lois sociales” naturelles (non créées par le législateur) : Responsabilité et Solidarité. Il s’agit de deux types de phénomènes observables dans tous les groupes humains, en tous temps et en tous lieux, phénomènes grâce auxquels, par l’expérience, la mémoire et la réflexion, les hommes sont en perpétuel apprentissage et l’humanité en perpétuel progrès.
La “responsabilité” qu’évoque BASTIAT est d’abord le fait brut que nos actes ont inévitablement des conséquences sur nous-mêmes, favorables ou défavorables mais instructives. La “solidarité” est cet autre fait brut, que nous souffrons ou bénéficions tous, plus ou moins directement, des actes d’autrui – ce qui nous amène à réagir par l’éloge ou le blâme, la récompense ou la rétorsion, aux conséquences qui nous atteignent (BASTIAT observe que c’est une sorte de responsabilité par contrecoup).
Pour BASTIAT ces mécanismes sont providentiels. Le Créateur a entendu donner aux hommes la Liberté. Grâce à ces mécanismes, les individus se font les surveillants et rétributeurs les uns des autres, dressant les frontières des libertés de chacun. Mais DIEU a pourvu à la perfectibilité à la fois des personnes et des sociétés, en dotant les hommes de l’intelligence, de la mémoire (et, ajouterait Paul VALÉRY, du langage !).
Toutefois, les institutions politiques peuvent favoriser, ou au contraire bloquer cette mécanique sociologique. L’analyse philosophique implique donc des conclusions institutionnelles : liberté des transactions et bornage des attributions de l’Etat. Sans attendre cependant que l’humanité admette par de sains raisonnements ces principes économiques et juridiques, la Religion en a formulé les corollaires pratiques dans le Décalogue judéo-chrétien.
L’originalité de BASTIAT aura été de proposer ainsi une vision rationnellement explicitée d’un ordre providentiel (laissant sa place à la Révélation) : ses “lois sociales” règnent absolument, et engendrent des structures dont on peut dire (après HAYEK) qu’elles “résultent entièrement d’actions humaines, mais nullement d’un dessein humain.” Ainsi, la Providence a rendu le progrès possible – sans empiéter sur la liberté humaine.
BASTIAT ne pouvait prévoir que JEAN PAUL Il recommanderait aux hommes de bonne volonté de sublimer les phénomènes de responsabilité et de solidarité en vertus morales et civiques ; il eut en revanche la perspicacité d’inclure le MAL lui-même dans son tableau, comme agent dissuasif et limitatif de nos erreurs et méfaits. Au demeurant, BASTIAT n’avait rien d’un utopiste, il a vu que la souffrance et l’injustice ne se réparent que difficilement et lentement ; et que leurs conséquences frapperont des innocents de génération en génération, aussi longtemps que des hommes céderont aux attraits de la tricherie et de la prédation. DIEU seul peut effacer tant de péchés par la Rédemption et rassasier les “affamés de Justice”.
(Extraits de l’avant propos à ce florilège, signé par Raoul Audouin)
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